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26483 février 2012 – Cette expression de “crise haute”, que nous avons déjà signalée, caractériserait, selon nous, la crise iranienne dans son extension actuelle et dans sa nouvelle dimension universelle. C’est un concept que nous proposons dans le prochain numéro de dde.crisis (10 février 2012), où la rubrique principale est consacrée à une dénonciation des “négationnistes”, c’est-à-dire cette catégorie de l’esprit-Système, transmise et renforcée par un flux constant de jugements, d’analyses, d’appréciations péremptoires, donnant constamment comme effet indirect mais puissant de dénoncer et de tenter de détruire l’idée d’une grande crise unique du Système. Le substitut qui est constamment offert par les négationnistes est une démarche d’“atomisation” de la situation en diverses crises catégorielles, l’attention exclusive et la communication qui en découle passant de l’une à l’autre, éliminant ainsi l’enseignement et l’effet de l’une en passant à l’autre, etc. C’est une démarche typique de négation de la mémoire et de l’expérience, – dans ce cas la mémoire et l’expérience immédiates.
Dans la nouvelle dimension qu’elle a acquise depuis novembre dernier (voir notre F&C du 4 janvier 2012), la crise iranienne s’impose désormais comme un contrepoids puissant et inattendu à la démarche négationniste. Elle tend systématiquement à s’intégrer dans la crise générale du Système, par les multiples ramifications qu’elle lance, par les multiples domaines qu’elle embrasse ; elle a un effet direct sur la crise des relations israélo-américanistes et sur la crise générale du Moyen-Orient, sur la crise intérieure du pouvoir aux USA, avec la position particulière de Ron Paul sur la question et l’écho qu’il en reçoit, sur la crise européenne au travers des effets de l’embargo, sur la crise du dollar et, plus généralement, des transactions internationales au travers du choix des monnaies d’échange, sur la crise de l’hégémonie américaniste et sur la crise des moyens militaires US dans cette crise, etc. Ainsi, elle tend à servir d’expression temporelle essentielle à ce qui serait l’unicité fondamentale de la crise générale du Système, en liant entre elles toutes ces crises sectorielles, en donnant à cette crise générale unique un aspect d’expression “opérationnelle” qui mobiliserait dans ce sens le système de la communication. La crise iranienne suscite alors dans cette transmutation, par effet contradictoire pourrait-on dire, la recherche et la mise en évidence d’une cause unique de la crise générale (le Système dans son entièreté, notre contre-civilisation) ; elle suggère implicitement la recherche d’une issue à la crise dans une conception unique, totalement renouvelée, du monde. Il s’agit là de la définition fondamentale de ce que nous nommons “crise haute” : la crise centrale du Système qui, lorsqu’on lui reconnaît cette unicité, suscite une ouverture pour rechercher un prolongement au-delà de cette crise qui serait la recherche d’une unicité correspondante de restructuration du monde, permettant un complet bouleversement par renversement de la vision et de la conception du monde, renvoyant métaphysiquement à l’idée de la Tradition, d’un Principe Unique.
On remarquera que nous parlons de “la crise iranienne” comme d’un fait objectif, c’est-à-dire sans faire de distinctions entre des “bons” et des “méchants” selon une terminologie simpliste, entre des machinations et de simples réflexes de défense, des agressions et des défense justifiées… C’est effectivement de cette façon que nous procédons pour tenter d’en expliquer l’importance nouvelle (depuis fin novembre/début décembre 2011) ; cette importance nouvelle que nous avons déterminée par analyse de la simple extension de la crise ; cette importance nouvelle que nous croyons distinguer par intuition de la transmutation de la crise jusqu’à sa représentation (sur un terme à déterminer chronologiquement ou bien sur un terme décisif) de la grande crise centrale du Système et de notre contre-civilisation. Cela explique combien les manigances et les responsabilités des uns et des autres nous intéressent assez peu, dans cette sorte d’analyse théorique, parce qu'ils ne sont pas des facteurs décisifs et déterminants de l’essence réelle de cette crise, mais tout juste des moyens ou des outils.
Pour autant, bien entendu, nous savons qui est qui et qui fait quoi, et il faudrait être singulièrement aveugle pour ne pas voir ces choses : l’évidence nous guide depuis 2005 et le «All the options are on the table» de GW Bush, depuis début 2002 et “The axis of evil” du même GW Bush, depuis le Shah et la chute de Mossadegh en 1953 et ainsi de suite en remontant le temps. Toutes ces choses sont si évidentes qu’il est inutile, pire encore, qu’il est dissolvant pour la pensée de les placer en position centrale dans l’analyse ; à trop nous y attacher en les y mettant, en effet, elles nous feraient croire qu’une défaite des USA ou d’Israël dans cette crise constituerait un but suffisant en soi, que la chose serait actée comme telle, la justice rétablie et la crise résolue fondamentalement... C’est une redoutable illusion née le plus souvent d’une vision sentimentaliste. Ce qui nous importe, c’est bien la chute du Système et, de ce point de vue, d’une certaine façon qu’on comprend aisément, la “politique de l’idéologie et de l’instinct” inspirée par les neocons et bientôt devenue une politique-Système (notamment des USA et du bloc BAO), et une politique infâme qui s’avère déstabilisante d’elle-même et de ses acteurs d’abord, est autant utile que les Iraniens qui s’opposent aux pressions du bloc BAO. Les uns et les autres participent à une œuvre commune dont le terme peut être un coup décisif porté au Système ; la différence se trouve dans le fait que les Iraniens devinent peut-être ce véritable enjeu tandis que les tenants de la politique-Système, aveuglés par leur hystérie maniaque, n’y voient que du feu. Cela signifie, d’une façon plus générale que, de l’intérieur du Système, il n’y a plus rien à attendre, – ce qui serait le cas même avec une “victoire” iranienne (pas nécessairement militaire mais plutôt politique et diplomatique) et une “justice” rendue aux Iraniens dans le cadre du Système, n’apportant qu’une péripétie temporaire et une satisfaction momentanée d’une évolution politique nécessairement restreinte. Voilà où le raisonnement, l’extrême de sa logique, doit nous conduire… Et il est vrai que, dans ce phénomène de la crise iranienne devenant “crise haute” et qui semble caractérisée par cette “tension figée” dont nous avons parlé, on trouve des raisons de penser que l’événement peut nous conduire loin sur la voie de l’accélération de l’effondrement du Système.
On voit donc que la critique du négationnisme, qui est le sujet introduisant cette réflexion, qui pourrait presque être considéré comme un prétexte, permet essentiellement de progresser dans l’identification et la description de ce que nous nommons la “crise haute” ; et la crise iranienne en est, bien entendu, l’application la plus évidente, la plus éclatante, constituant même l’archétype de la chose, la voie par laquelle a pu s’imposer ce que nous identifions comme cette “crise haute”.
Dans notre numéro de février 2012 de dde.crisis où nous identifions et tentons de définir ce concept de crise haute, nous détaillons le cas évident de sa représentation qu’est la crise iranienne. Nous le faisons en ayant à l’esprit que cette crise peut conduire au terme de l’effondrement du Système, ou bien n’y pas parvenir et passer le relais de cette entreprise à une autre crise acquérant à son tour les caractéristiques du centre grondant de la crise (ce pourrait être, par exemple, la situation intérieure des USA selon un prolongement dramatique de la campagne électorale, ou bien autre chose, dans des conditions différentes). Voici un extrait de cette rubrique du 10 février 2012 de dde.crisis, décrivant effectivement la crise iranienne interprétée dans ce sens.
«Pourquoi la crise iranienne? Parce que la crise iranienne semble soudain saisir le monde, c’est-à-dire le Système, comme l’œil du cyclone vous saisit pour devenir un tourbillon qui se creuse, un trou noir découvrant soudain ses abysses... Nous parlons bien de “la crise iranienne” en tant que telle ; comme détachée de l’Iran lui-même et des autres protagonistes (Israël, USA, UE, Russie, Chine, Moyen-Orient, etc.) ; comme détachée du programme nucléaire de l’Iran selon ce qu’il est et ce qu’on en fait, qui ne semble plus être là que comme une référence lointaine et presque désuète ; comme détachée de la dimension géostratégique (pétrole, etc.) dont la raison affecte de la couvrir, – non, “la crise iranienne” en tant qu’entité autonome des relations internationales, qui aurait été choisie comme un centre grondant où s’allument les brandons incandescents de la crise du monde... C’est en effet ce qu’est devenue la crise iranienne, dans ces dernières semaines, dans une soudaine accélération du changement de sa signification, de son essence même, comme si cette chose était commise à soudain entrer dans le domaine de la métahistoire pour représenter la crise du monde. La crise iranienne semble être devenu, comme n’aurait peut-être pas dit Teilhard, le point Oméga de la crise du monde.
»Certes, c’est autour d’elle que s’ordonne le phénomène de la chaîne crisique transversale, mais il n’y a pas que cela ; ou plutôt, à partir de cela s’ordonne le spectacle de l’ultimité des choses, comme en un raccourci saisissant de notre temps historique transmuté en métahistoire. Cela ne signifie certainement pas que nous annoncions la guerre, ou l’apocalypse de la guerre, ou quoi que ce soit ; nous sommes bien incapables de rien prévoir à cet égard, puisque la chose nous a échappés et, désormais, nous domine et nous entraîne. Nous sommes même incapables d’avancer que le phénomène que nous décrivons 1) est décisif, et 2) qu’il va durer (dito, si le flambeau de “foyer de la crise centrale” ne va pas passer à un autre centre de crise). Il reste que la crise iranienne est ce qu’elle est devenue, et qu’elle mérite l’intérêt qu’on lui apporte ; elle est la première, effectivement, à acquérir la dimension qu’on tente ici de mesurer et de restituer... La particularité nouvelle de la crise iranienne, comme un archétype d’une nouvelle catégorie de la chose, est qu’elle permet d’explorer toutes les potentialités de crises, dont certaines sans le moindre lien cohérent, avec elle. (Ce qui lui fait mériter effectivement de justifier l’exploration d’un nouveau concept, celui de chaîne crisique transversale.)
»C’est donc de ce point de vue qu’il nous importe d’aborder la question que nous soulevons. Il s’agit d’étudier la crise iranienne en ce qu’elle est devenue, brusquement, ces dernières semaines ; comme quelque chose de tout à fait différent, s’adaptant aux appréciations qui nous guident ; comme quelque chose qui éclaire le temps métahistorique et est inspirée par lui.
[…]
»C’est bien une crise à la fois virtualiste et paroxystique. La première fois que l’attaque de l’Iran par le bloc BAO est devenue une question pressante (!) et quasiment discutée au niveau officiel comme un dossier urgent et en cours, c’est le 19 février 2005, lors d’une visite de GW Bush à Bruxelles. Le président d’alors prononça la formule fameuse : «All options are on the table». Cela signifiait que l’option de l’attaque s’y trouvait, sur la table, et que c’était celle à laquelle tout le monde devait penser. C’était porter une crise, jusqu’alors assez discrète pour ne même pas être perçue comme une crise, à son niveau paroxystique. On ne cessa plus d’y penser et il y eut un nombre respectable d’occasions où les oracles les plus sûrs annoncèrent l’imminence d’une attaque. Au printemps 2007, on évoqua même l’emploi possible de l’arme nucléaire. Ainsi, cette crise était passée directement du stade de la non-existence au niveau paroxystique, pour un sujet (le programme nucléaire iranien) totalement construit, douteux du point de vue de la légalité internationale, farci d’interprétations faussaires. Ainsi peut-on parler d’une crise de type virtualiste, immédiatement portée à son niveau paroxystique (extrême) sans “montée aux extrêmes”. Il s’agissait d’une pantomime de crise, d’une représentation de crise, d’un fantôme de crise...
»Tout a basculé en novembre-décembre 2011. Une forme nouvelle de la crise s’imposa avec l’affaire de la “capture” du drone de reconnaissance US RQ-170, immédiatement suivie d’une installation de la tension dans le Golfe, dans la Mer d’Oman et dans le détroit d’Ormouz, avec menaces d’affrontement naval (principalement entre la marine iranienne et l’U.S. Navy), parallèlement à l’annonce de prochaines décisions d’embargo du pétrole iranien par le bloc américaniste-occidentaliste (BAO). Nous parlons de basculement parce que nous passons brusquement du virtualisme de l’hypothétique attaque de l’Iran par le bloc BAO, à son heure et à sa guise, à la réalité de l’embargo, de la tension en Mer d’Oman et des menaces de fermeture du détroit.
»Aussitôt apparurent les éléments fondamentaux de la réalité de la crise : non pas réalité nouvelle, mais réalité tout court, indiquant que, pour la première fois depuis 2005, la crise existait réellement, en vérité. L’Iran étant le troisième exportateur de pétrole du monde en même temps qu’une puissance aux capacités technologiques développées (affaire du RQ-170) du fait de l’enfermement où ce pays se trouvait contraint, de multiples domaines réels se trouvaient touchés. La crise iranienne devenait un problème économique concret, un problème opérationnel et stratégique concret, un problème de relations internationales concrets. Des puissances hors-bloc BAO, comme la Chine, l’Inde et la Russie (les deux premières, grosses exportatrices de pétrole iranien), étaient directement concernées et prenaient des positions (en général hostiles au bloc BAO) concrètement exposées et immédiatement opérationnelles. […]
»Nous avons déjà signalé sur notre site dedefensa.org (le 4 janvier 2012, rubrique F&C) combien le facteur pétrole-embargo-Ormouz modifiait la situation stratégique. Il s’agit effectivement d’un basculement : d’une position d’assiégé théorique soumis au bon vouloir d’une puissance supérieure, l’Iran passait au statut d’acteur actif et non dénué d’arguments stratégiques et économiques dans une séquence devenue beaucoup plus concrète. Ce basculement est également symbolique, et d’une puissance remarquable qui transforme la crise iranienne.
»• On passe du nucléaire militaire théorique au pétrole, matière active, circulant, commercialisée, etc. On passe ainsi d’une matière virtualiste (l’hypothèse constamment manipulée de la théorie de la production d’un armement nucléaire) à une puissante réalité. Le pétrole, c’est le sang du Système, sa raison d’être et sa raison de vivre, son symbole absolu ; pas besoin de guerre, pas besoin du sang de la guerre, le pétrole suffit à cet égard, comme symbole pur de l’affrontement. Ainsi la crise iranienne, par le biais de son basculement vers la question du pétrole, est elle-même devenue à la fois le sang du Système et le sang de la guerre, et le symbole de tout cela.
»• En pénétrant dans la réalité par le moyen du symbole même du Système, la crise s’élargit en se haussant, en appelant aussitôt à l’interférence d’autres crises. Elle s’inscrit aussitôt comme une interférence majeure dans le débat des élections présidentielles US, intervient comme un objet de tension formidable entre les USA et Israël, met en évidence l’aspect chaotique de la situation au Moyen-Orient en général, avec les déplacements de puissance qui vont avec en accompagnant la chaîne crisique du “printemps arabe” ; elle souligne l’impuissance européenne derrière une politique extérieure convenue selon les normes-Système, accélère dramatiquement la fracture entre le bloc BAO et les puissances du BRICS (principalement la Chine, l’Inde et la Russie) ; et, surtout, elle transforme en l’accélérant décisivement la question de la suprématie en cours d’effondrement du dollar en introduisant des transactions en monnaies nationales, voir selon le principe du troc or-pétrole, etc...
»Ce qu’on mesure alors, avec cette crise iranienne ainsi décisivement transmutée par son élargissement à d’autres crises et par la force symbolique ainsi acquise la haussant au niveau métahistorique, c’est combien cette transmutation s’exprime par une intégration complète dans la crise centrale du Système, et combien cette intégration nous fait percevoir la formidable importance de l’enjeu ainsi révélé. Considérée d’un autre point de vue, l’évènement contribue d’une façon étonnamment puissante à la progression de l’unicité de la crise, c’est-à-dire vers la concrétisation de la “crise unique” ou de la “crise haute”. Dans ce cas, la crise iranienne joue un rôle de détonateur, de déclencheur, en brisant le cadre contraignant que lui avaient assignée les “négationnistes”, refusant le fait de l’existence d’une crise centrale devenue crise haute, ou crise métahistorique, du Système. Le cas iranien est alors complètement dégagé de son cadre régional et de la psychologie obsessionnelle de ceux qui entretiennent la crise. Il est littéralement libéré.
[…]
»C’est ce dernier point de l’émergence d’une possibilité d’échange pétrole-or que nous retiendrons comme symbolique, dans la mesure où il esquisse une attaque de la conception du monde selon le Système, basée sur la puissance faussaire d’une monnaie manipulée comme un instrument de piraterie (le dollar). Le symbole d’un “troc” or-pétrole, concernant le fondement du Système, le “sang du Système” (le pétrole), est un évènement hors de la sphère monétaire et économiste. Sa puissance symbolique émane effectivement d’une intervention métahistorique. Un expert indépendant, Jim Rickard, qui avait envisagé cette évolution dans une analyse de 2009, observe ce mouvement de la part des pays cités (l’Inde et la Chine au premier rang) en insistant sur la surprise de son accélération (lui-même ne voyait pas de telles pratiques possibles avant 2013-2014) : “[These countries will say...] Let’s get our own payment system going. Let’s use our own trade currencies. Let’s use gold as a foundation. It’s exactly what I talked about in my book, but having forecasted all of this I am surprised to see it happening so quickly. This could be the beginning of the end of the dollar.”
»C’est bien cette rapidité qui doit être mise en évidence, comme un signe de la métahistoricisation de la crise, dans ce cas de la crise iranienne passant à la crise du dollar, aux crise des relations commerciales stratégiques, à la crise entre les puissances du BRICS et celles du bloc BAO, etc... Cette rapidité implique une contraction du temps et une accélération de l’Histoire, qui sont effectivement le double signe de l’intégration de la crise et de sa transformation en ce que nous nommons “crise haute”, avec cette spécificité d’unicité qui ouvre la pensée vers la possibilité d’une transmutation décisive des conditions du monde ; cette rapidité implique par conséquent l’apparition pleine et entière de la dimension métahistorique. C’est ainsi que s’est transformée, ces deux derniers mois, la crise iranienne.…»